« J'ai besoin de challenges ! »

Chez BOURBON depuis 2010, l’ukrainien Andriy Vakarchuk a navigué de longues années sur PSV en tant que Chief Mate avant d’intégrer l’équipe Smart shipping¹. Après un bref retour en mer, il relève aujourd’hui un nouveau challenge en travaillant sur la digitalisation de l’ASOG (Activity Specific Operating Guidelines). Interview.

OFFshore : Pourquoi êtes-vous devenu marin ?

Andriy Vakarchuk : Je suis originaire d’Odessa, ce qui explique déjà en partie mon choix ! C’est un choix assez naturel lorsque l’on vit dans cette ville, toute entière tournée vas les activités maritimes. De nombreuses universités maritimes y préparent aux métiers de la mer et lorsque l’on est en âge de faire un choix professionnel, c’est une éventualité que l’on étudie de près. Ça fait partie intégrante de notre culture. J’ai donc réalisé plusieurs embarquements en tant que cadet, puis matelot, j’ai démarré sur un très gros vraquier, un embarquement de 6 mois, et j’ai su que je ne ferai jamais carrière sur ce type de navires ! C’était trop long et trop ennuyeux. En revanche, un embarquement d’1 mois sur un remorqueur m’a donné envie de suivre cette voie et après un nouveau passage sur les bancs de l’académie, j’ai rejoint BOURBON, en 2010.

OFFshore : Un fait marquant chez BOURBON ?

A.V. : Dès mon arrivée, je me suis rendu en Chine pour prendre livraison du Bourbon Liberty 223, j’étais cadet mais ce fut une belle expérience, le début d’une nouvelle vie, dans une nouvelle entreprise et sur un navire tout neuf ! Mon travail a consisté à préparer le navire pour son tout premier transit, avec escale à Singapour. Le commandant s’appelait Maxime Lucas, nous nous entendions très bien, aussi bien sur le plan professionnel que personnel. J’ai embarqué par la suite en tant que DPO sur le Bourbon Liberty 112 puis sur l’Astyanax puis enfin sur le Ruby, un gros PSV. Nous opérions au Nigeria pour Shell, l’ambiance à bord était formidable. L’équipage a très peu changé pendant plusieurs années, ce qui a renforcé nos liens. Je ne sais pas si c’est une coïncidence mais n’avons eu aucun LTI pendant toutes ces années… Puis nous avons changé de champ et de client. Cette période reste ancrée dans ma mémoire…

OFFshore : La fin de l’année 2014 marque alors le début de la crise du secteur de l’Oil&Gas.

A.V. : Oui, une période marquante, là encore. Moins de contrats, moins de navires en activité, une période vraiment difficile pour le groupe et pour tous les marins. J’ai eu la chance d’avoir une opportunité d’embarquement en Angola, sur le Bourbon Explorer 517. Là encore, nouveau pays, nouveau navire, nouveau commandant ! Un challenge intéressant. Un jour, on m’envoie sur le BE 508 pour 3 semaines. Et c’est sur ce navire que j’apprends que l’équipe Smart Shipping recherche des volontaires pour développer le programme et le déployer ensuite sur les navires ! J’ai immédiatement postulé. Il me fallait de nouveaux challenges et celui-ci me semblait vraiment très excitant. C’était la bonne opportunité au bon moment. Le hasard a vraiment bien fait les choses ! J’ai informé mon crew manager de l’époque et quelques mois plus tard, j’ai finalement été le tout dernier appelé pour participer à la… toute dernière session de formation ! Nous étions alors une trentaine de Change Officers.

OFFshore : Combien de temps êtes-vous resté Change Officer ?

A.V. : Environ 2 ans. A la fin de notre mission, chacun de nous est retourné naviguer, j’ai fait partie des 2 derniers Change Officers du programme.

OFFshore : La mer vous a-t-elle manqué pendant cette mission ?

A.V. : Je venais de passer 9 ans sur l’eau, donc honnêtement, pas du tout. Dans le cadre du Smart shipping, j’ai travaillé à terre mais j’étais aussi amené à me déplacer sur les navires, c’était donc vraiment parfait. A l’issue de ma mission à terre, lorsque la pandémie du Covid a démarré, je suis retourné naviguer à bord de navires de la série des Bourbon Explorer 500. J’y ai retrouvé l’équipage que j’avais formé en tant que Change Officer. Mes collègues étaient ravis d’opérer avec un marin qui avait une parfaite connaissance du Smart shipping !

OFFshore : Lorsque vous avez déployé le programme Smart shipping à bord des navires, quelle fut la réaction des marins ?

A.V. : Je n’ai jamais senti d’opposition au programme. Plutôt de l’intérêt, même si parfois il a pu y avoir un peu de résistance au changement chez certains, mais c’est tout à fait normal. Je dirais que c’est humain. Et au final, tout s’est très bien passé. Je suis toujours en lien avec un grand nombre de marins formés, on échange régulièrement.

OFFshore : Vous travaillez aujourd’hui sur le Navire Connecté, et notamment sur la digitalisation de l’ASOG. De quoi s’agit-il exactement ?

A.V. : Le Navire Connecté, c’est l’acquisition à bord en temps réel des données informatiques produites par les équipements du navire, pour les rendre intelligibles avant de les remettre à disposition des marins. La structure installée à bord d’un navire connecté permet également d’héberger des applications d’aide à la décision en temps réel, développées par BOURBON avec et pour les marins. Digital ASOG (D-ASOG) est une de ces applications qui s’adresse notamment à l’opérateur DP (Positionnement Dynamique). Lors d’une opération DP, l’Officier DP est en mesure de connaitre exactement où il se situe par rapport aux limites opérationnelles fixées par l’ASOG. Si un écart est constaté par l’application (problème mécanique, conditions de navigation qui évoluent…) l’application le signale et l’équipage sait exactement quelles procédures il doit suivre. Avant, ces procédures étaient sur un document imprimé. Aujourd’hui, c’est digitalisé et automatisé. Le système détecte les changements de conditions, déclenche une alarme et indique au DPO ce qu’il doit faire. Le DPO garde la responsabilité de la manœuvre, bien sûr, mais c’est un vrai bénéfice en termes de sécurité. Nous allons tester l’application sur un premier navire en juin, le BL244. Ce sera un moment important car ce sera une première mondiale. Mon expérience de marin et de Change Officer me sera très utile pour comprendre, échanger et former l’équipage à ce nouvel outil, mais aussi recueillir leur retour d’expérience pour faire vivre l’application !

OFFshore : Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ?

A.V. : Pour répondre à cette question, je vais remettre ma tenue de marins ! Lorsque l’on est à bord, que l’on a une opération difficile à effectuer, lorsque les conditions sont mauvaises, etc. et que tout se passe bien, ce sont des moments assez intenses, avec une montée d’adrénaline ! On peut aussi être satisfait de ses succès à terre, mais en mer, je crois que c’est encore plus fort. L’autre élément qui me vient à l’esprit, ce sont les amitiés que l’on parvient à nouer avec d’autres membres d’équipage. Je suis à l’origine d’un groupe WhatsApp qui regroupe près de 250 marins, dont la plupart ne sont plus chez BOURBON, mais nous sommes toujours ravis d’échanger, de raconter nos vies. Ce sont des moments qui comptent, encore plus lorsque notre pays est engagé dans une guerre et que l’on vit des moments difficiles. La vie de marin, c’est aussi ça, faire partie d’une communauté qui s’entraide et se soutient…

¹ Initié en 2018, le programme Smart Shipping vise à garantir des opérations plus sûres, efficientes et rationnalisées, grâce aux innovations permises par la révolution digitale
Portrait