Paroles d'expert

Une transformation digitale gagnante

Leader mondial sur le marché de l’hélicoptère civil et militaire, avec un chiffre d’affaires de près de 6,5 milliards d’euros en 2017, le groupe européen Airbus Helicopters a entrepris en 2013 un plan de transformation et initié son 2ème volet l’année dernière. Il partage les mêmes enjeux que BOURBON : la nécessité de faire évoluer son business model pour toujours plus d’excellence opérationnelle, dans un environnement en pleine mutation. Jérôme Fagot, Digital Transformation Officer & Company Improvement, revient en détail sur ce plan de transformation et sur les bénéfices de la digitalisation pour une entreprise de cette dimension.

PartnerShip : Dans une industrie aéronautique souvent érigée en modèle par celle du maritime, pour quelles raisons Airbus Helicopters a-t-il initié un plan de transformation ?
Jérôme Fagot :
La société a grandi autour d’une spécificité qui la démarque de ses concurrents : elle propose la gamme d’hélicoptères la plus large sur le marché et a la capacité de personnaliser ses appareils aux missions opérées par ses clients. Pendant la période de forte croissance, nous avons triplé notre chiffre d’affaires ; notre priorité était donc de livrer en temps et en heure les appareils commandés. Nous avons alors connu une augmentation de nos coûts de production et nous sommes interrogés sur le business model de l’entreprise : devions-nous produire plus d’hélicoptères, auquel cas il était nécessaire de revoir notre modèle industriel, ou souhaitions-nous conserver notre spécificité et freiner ce développement ? Nous avons stratégiquement choisi la 1ère option et lancé notre plan de transformation en 2013 avec pour priorité l’industrialisation de l’entreprise en nous inspirant notamment de l’industrie automobile - lean process, nouvelles méthodes de management, nouveaux outils de suivi. Une première étape d’identification des dysfonctionnements a été suivie par une phase de communication et de partage de ce diagnostic avec l’ensemble des collaborateurs ; car pour moi, une telle ambition ne peut réussir que si les collaborateurs sont suffisamment sensibilisés, associés pour devenir eux-mêmes acteurs de la transformation. Ensuite, une fois le plan engagé, il se crée de l’attente, les personnes veulent des résultats. Le challenge est donc de rassurer et de matérialiser le plan par des actions concrètes à tous les niveaux, démontrant ainsi qu’il n’est pas un simple exercice théorique.

PS : Selon vous, quels sont les principaux facteurs clés de succès d’un plan de transformation ?

J. F. : La transparence est un facteur de succès essentiel : transparence dans le diagnostic et dans le plan d’action, transparence sur le plan d’avancement, en s’appuyant sur des moyens de suivi solides. Nous avons mis en œuvre un processus de reporting mensuel d’indicateurs-clé de performance, contrôlé au plus haut niveau par le comité de direction et relayé via les managers à l’ensemble des collaborateurs. Ce « rendez-vous » mensuel permet à la fois de communiquer de manière régulière en interne, mais aussi de gérer au mieux l’évolution des projets et d’identifier rapidement les retards qui pourraient être pris ; d’ailleurs, la transparence sur les échecs de certains projets est tout aussi attendue et appréciée par les collaborateurs. La manière de communiquer sur un plan de transformation est également très importante. Dans ce domaine, le top management a un rôle essentiel à jouer : la transformation doit être sa priorité absolue. Enfin, au-delà de la communication, un plan de transformation doit être soutenu par une véritable conduite du changement, y compris dans les manières de travailler - développer des moyens plus agiles, favoriser la responsabilisation et le leadership.

" Un plan de transformation doit être soutenu par une véritable conduite du changement, y compris dans les manières de travailler"
Jérôme fagotDigital transformation officer & company improvement

PS : La seconde phase de votre plan, lancée en 2017, a vu l’introduction de la digitalisation comme accélérateur. Quels sont vos principaux chantiers ?

J. F. : Nous en avons essentiellement deux. Le premier concerne l’expérience client. Nous visons à développer davantage d’interaction avec nos clients, en partageant mieux les données. Grâce à ces données, nous allons être en mesure de leur proposer un service personnalisé et une maintenance plus adéquate, d’optimiser le taux d’utilisation de leurs hélicoptères, de les accompagner sur de la maintenance prédictive. Le digital est un levier essentiel pour générer de la valeur ajoutée pour nos clients. La vraie transformation est là ; en favorisant le partage d’informations, nous développons une relation de confiance et de partenariat avec eux. Quant au 2ème chantier, il couvre l’efficacité de nos opérations et repose sur le concept de la digital continuity.

PS : Qu’entendez-vous exactement par "digital continuity" ?

J. F. : Le digital a une particularité, celle de rapprocher les personnes, les entités et donc, in fine, de modifier l’organisation. Mettre en place une digital continuity couvrant l’ensemble de l’organisation signifie pouvoir réconcilier les différents départements, faire que cette communauté travaille de manière collaborative avec des outils communs. Cela permet de réduire les cycles et d’éviter la redondance d’informations. A titre d’exemple, nous avons réduit de moitié le temps de production du nouvel hélicoptère H160 par rapport à son prédécesseur et nous pensons avoir encore des marges de manœuvre.

PS : Dans le cadre de votre plan de transformation, comment parvenez-vous à concilier baisse des coûts et innovation ?

J. F. : Les deux ne sont pas antinomiques. Une première baisse des coûts peut être réalisée en travaillant sur l’efficacité des processus internes, en simplifiant l’organisation, en développant de nouvelles méthodes de travail. Il s’agit dans ce cas d’optimisation. Lors des 4 premières années de notre plan de transformation, nous avons réduit de 10 % les coûts de structure de l’entreprise, ce qui est déjà beaucoup. Une partie de ces économies a été réinjectée dans l’innovation sachant que, y compris en période de déclin de marchés, notre politique d’investissement dans l’innovation n’a jamais faibli. C’est une des forces d’Airbus Helicopters. Mais dans ce domaine, nous avons aussi revu nos priorités : nous recentrer sur des projets qui apportent de la valeur ajoutée à nos clients, travailler sur la sécurité en vol de l’hélicoptère, développer de nouveaux business models grâce à la digitalisation, anticiper les marchés de demain, notamment dans le domaine de la mobilité urbaine aérienne. Car, finalement, se transformer c’est aussi être visionnaire pour mieux anticiper les changements et, dans ce domaine, l’histoire démontre qu’Airbus Helicopters s’en sort plutôt bien...

Paroles d'expert