Ils témoignent

Flotille de drones sous-marins : les prémices d'une révolution

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Thierry Brizard
Thierry Brizard
Chief Engineer - Arkeocean
4 min
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Stephan Midenet
Stephan Midenet
CEO - Bourbon Subsea Services

Soucieux de compléter son offre de service et d’axer son développement sur l’innovation, BOURBON s’associe à la start-up française Arkeocean et à la société Seagnal dans un partenariat autour du projet "Deep Swarm Positioning", qui à terme permettra de faire évoluer une flottille de véhicules autonomes sous-marins, ou AUV (Autonomous Underwater Vehicles). Une interview de Thierry Brizard, Chief Engineer d’Arkeocean, et Stephan Midenet, CEO de Bourbon Subsea Services.

 

PartnerSHIP : Arkeocean a axé son développement sur la technologie des AUV. Pourriez-vous nous décrire les spécificités de ce marché particulier ?

Thierry Brizard : L’industrie des AUV est aux prémices de son histoire, un peu comme l’était l’industrie automobile au début du siècle dernier. Des sociétés comme Kongsberg, BlueFin, Hydroïd ou ECA peuvent ainsi être considérées comme des pionnières. Les AUV d’aujourd’hui sont assemblés à l’unité par des artisans qualifiés et ont des performances opérationnelles plutôt modestes. Du fait de leur prix unitaire élevé ils ne peuvent être lâchés qu’en petit nombre dans la mer pour des missions très ponctuelles.

PS : De quel type de missions parlez-vous ?

T. B. : Pour vous donner un exemple, en mars 2014, un AUV BlueFin-21 coûtant plus d’un million de dollars avait été déployé pour repérer les boites noires du Boeing 777 du vol MH370 de la Malaysian Airlines et capter les derniers signaux acoustiques transmis. Cette mission fut un échec car pour y parvenir, il aurait fallu mobiliser une multitude de « têtes d’épingle » coordonnées, formant un réseau d’écoute déployé dans la colonne d’eau sur plusieurs kilomètres carrés. Mais avec des AUV à plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros, ce concept est économiquement irréaliste.

PS : D’une façon comparable à ce qu’il se passe actuellement dans l’éolien flottant, le tournant sera donc la phase d’industrialisation de ces appareils ?

T. B. : C’est cela ! L’industrie des AUV attend encore son Henry Ford et l’avènement du modèle T qui a fait entrer l’automobile dans l’ère de la fabrication de masse. Je pense qu’une révolution industrielle similaire est inéluctable dans le domaine des AUV pour amener sur le marché des solutions enfin adaptées au défi de l’exploration sous-marine. Cela se fera probablement par l’avènement de petits drones connectés, pouvant opérer en essaim coordonné, à un prix unitaire permettant d’en déployer simultanément des centaines, voire des milliers pour pouvoir observer l’océan avec un instrument d’une taille enfin adaptée à son immensité. Le record du monde du nombre d’AUV déployés simultanément a été établi en septembre 2020, avec 200 véhicules mobilisés lors d’une opération d’acquisition sismique, mais une compagnie pétrolière majeure travaille sur un programme impliquant potentiellement 3000 AUV.

PS : Quel est le poids de ce marché des AUV en termes de chiffres d’affaires ?

T. B. : Il est d’environ 2 milliards d’euros aujourd’hui, mais, selon les analystes, il devrait atteindre les 4 milliards d’ici3 ans.

PS : Quel est le projet que vous portez aujourd’hui avec BOURBON et la société Seagnal ?

T. B. : Le projet "Deep Swarm Positioning" vise à développer un démonstrateur de système de positionnement permettant à une large flotte d’AUV déployés sur une surface allant jusqu’à 12km2 d’évoluer avec une précision de 2,5 à 4 mètres dans la colonne d’eau, jusqu’à une profondeur de 3000 mètres. En se déplaçant globalement, ce système permet aux AUV de couvrir de vastes fauchées (largeur de prise de vue) pour de multiples applications, comme des relevés de bathymétrie et de photogrammétrie (cartographie/imagerie 3D des fonds des mers), des acquisitions géotechnique et géophysique, ou des observations scientifiques par le recueil de paramètres physico-chimiques. Ce système est conçu pour faire évoluer ensemble des milliers de drones sous-marins.

PS : Stephan Midenet, pourquoi BOURBON a-t-il souhaité être acteur de ce projet ?

Stephan Midenet : Bourbon Subsea Services, à travers sa filiale BO DNT, est un opérateur important de ROV, utilisés pour une variété de services, que ce soit dans le domaine de l’inspection, de la maintenance, de la réparation sur des installations offshore, des opérations traditionnelles de survey, etc. C’est une technologie qui est assez mature mais qui, à treme, va être assez largement concurrencée par les AUV, au moins sur certaines opérations. Leur scope n’est pas tout à fait le même mais ils offrent certains avantages, en termes de flexibilité notamment. C’est pourquoi nous avons prévu de nous doter d’un AUV "traditionnel" en 2023, pour étendre et faire évoluer la gamme de services que nous offrons. C’est un premier pas qui en appelle d’autres et nous souhaitons donc également regarder vers le futur et les nouvelles technologies qui nous permettront d'offrir des services différenciés et présentant une efficacité opérationnelle supérieure. Les flottes d'AUV sont potentiellement une de ces technologies et c’est une technologie que nous souhaiterons avoir demain dans le portefeuille de services que nous proposons à nos clients, dans l’oil&gas mais aussi dans l’éolien en mer. D'où notre participation à ce projet. Cela illustre également notre volonté d’aller vers davantage d’innovation et vers des services à plus forte valeur ajoutée. Une start-up comme Arkeocean peut nous permettre de nous positionner avec succès sur ce marché, de travailler en amont. Cette approche se fait aussi dans un contexte de développement de services clé en main de Bourbon Subsea Services. Cela signifie non seulement fournir l’équipement mais aussi, dans certains cas, les services associés, selon des modèles sur lesquels nous nous penchons actuellement. Dès lors, il est encore plus important de maitriser le modèle opérationnel pour être plus efficaces et plus compétitifs que nos concurrents.

Le monde des AUV est en ébullition actuellement. Il y a des fabricants historiques qui proposent des appareils d’un coût égal à celui d’un ROV, entre 5 et 10 M€. Selon moi, ce type d’AUV ne reflète pas ce que sera demain ce secteur.

Stephan Midenet
CEO de Bourbon Subsea Services

PS : Quel regard portez-vous sur ce marché des AUV ?

S. M. : Le monde des AUV est en ébullition actuellement. Il y a des fabricants historiques qui proposent des appareils d’un coût égal à celui d’un ROV, entre 5 et 10 M€. Selon moi, ce type d’AUV ne reflète pas ce que sera demain ce secteur. Il doit y avoir une vraie révolution pour gagner en efficacité sur le plan opérationnel. De nombreuses start-up sont en train de naitre partout dans le monde, les concepts se développent, etc. Ce marché n’est pas mature mais est en devenir. BOURBON souhaite donc ajouter à son portefeuille d’activités et d’équipements sous-marins des AUV. Lorsque nous analysons l’écosystème qui existe autour de ces appareils, nous pensons qu’il existe ou existera bientôt des moyens de fournir certains services sous-marins de manière plus efficace. Nous voulons donc à terme avoir ce genre de solutions dans notre portefeuille de services. Le concept d’« essaim » ou de flotte d’AUV m’intéresse car je crois que si nous parvenons, au moins pour certaines applications, à passer des gros AUV coûteux, qui nécessitent une logistique complexe, mobilisent de gros navires et représentent une vraie complexité opérationnelle, à une flottilles d’AUV peu chers, flexibles et capables d’acquérir des volumes de données très importants, on s’ouvre de nouvelles possibilités et de nouveaux marchés, notamment dans l’éolien offshore.


PS : Quel est votre rôle dans ce partenariat noué avec Arkeocean ?

S. M. : Nous allons apporter nos compétences en engineering d’installation, en management de navires et d’opérations offshore, notre expérience dans le domaine des opérations sous-marines et des ROV, qui seront associées aux compétences en acoustique sous-marine d’Arkeocean et à celles de la société Seagnal en traitement sonar. Au-delà de notre expertise, nous apportons aussi la crédibilité d’un leader des services maritimes à l’offshore pétrolier, gazier et éolien.

T. B. : BOURBON nous apporte sa séniorité et crédibilise le projet.  Par ailleurs, notre système est basé sur un navire et une infrastructure marine conçue par les ingénieurs de BOURBON dont on a déjà apprécié l’excellence en termes d’ingénierie et de connaissance des grands fonds. On attend aussi beaucoup d’une cross fertilisation entre la connaissance de BOUBON sur les ROV et celle d’ARKEOCEAN sur les AUV. Notre relation est très fluide, cordiale et à « bénéfices » partagés ! J’entends par là que si nous réussissons à mener notre projet à bien, BOURBON pourra de son côté proposer des solutions innovantes de « survey » à ses clients permettant de conforter sa position dans le marché de l’Oil&Gas et de l’éolien offshore.  


PS : Concrètement, à quel stade de développement en êtes-vous ?

T. B. : Nous sommes en train de lancer un nouveau type d’AUV assez révolutionnaire, pour le militaire et d'autres applications, qui seront vendus « prêts à naviguer » avec tout leur équipement et leur dispositif de guidage à environ 20 000€ l’unité, alors que les AUVs équivalents sur le marché sont à environ 80 000€. Et nous considérons ceci comme une étape, comme les prémices d’une belle aventure dont Arkeocean, Seagnal et BOURBON seront les moteurs…

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