
Golfe de Guinée : une piraterie en forte hausse
Les actes de piraterie maritime connaissent une croissance exponentielle depuis 5 ans, dans le golfe de Guinée. Les enlèvements y sont nombreux et les collaborateurs des compagnies maritimes et pétrolières qui opèrent dans cette zone, sont confrontés à un réel danger. PartnerSHIP fait le point avec W.B. 1, expert sûreté membre de plusieurs comités de l’ONU et de l’Union Européenne qui luttent contre la piraterie en Afrique de l’Ouest.
PartnerSHIP : Selon le Bureau Maritime International (BMI), les actes de piraterie en mer ont fortement augmenté depuis début 2020. Rejoignez-vous cette analyse ? Comment les politiques de sureté des entreprises internationales évoluent-elles ?
W. B. : On ne peut qu’être d’accord avec ce constat. J’ajoute que les spécialistes s’accordent pour dire que les chiffres réels sont certainement supérieurs d’environ 30% à ceux publiés. On enregistre effectivement une augmentation des actes de piraterie depuis le début de l’année, mais cette croissance est liée au référentiel de l’année 2019 au cours de laquelle la piraterie maritime dans le monde avait sensiblement reculé.
Les compagnies maritimes tentent en permanence de s’adapter à cette menace par des analyses sécuritaires, l’adaptation des transits, le renforcement des dispositifs d’anti-boarding, de nouveaux moyens de détection, la création de « safe-havens »2 à bord des navires et des formations et entraînements spécifiques destinés aux membres d’équipage. La majeure partie des pays côtiers ne disposent pas encore des moyens nécessaires pour prévenir ou contrer les menaces de pirateries.
" Il est important que les marins soient informés des risques lorsqu'ils opèrent dans le Golfe de Guinée [...]. Il faut qu'ils soient formés et protégés autant que possible."
PartnerSHIP : Le BMI constate que sur les 85 marins enlevés et détenus contre rançon depuis le début de l’année, 80 ont été kidnappés dans le Golfe de Guinée. Pensez-vous que cette zone soit en passe de devenir la plus dangereuse du monde ?
W.B. : Dans un environnement général ou la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée se maintient à un niveau élevé, celle-ci est à présent quasi majoritairement orientée vers le kidnapping de membres d’équipage. Le nombre de kidnappings en mer a augmenté d’environ 140% en 5 ans ! Les expatriés représentent aujourd’hui 90% des personnes enlevées et le nombre moyen de marins kidnappés est passé de 3 à 8. Le montant des rançons, qui varie en fonction de la nationalité et du nombre de kidnappés, a été multiplié par 4 par rapport à 2015.
Il est important que les marins soient informés des risques lorsqu’ils opèrent dans le Golfe de Guinée (zones dangereuses, typologie des actes de piraterie, etc.). Il faut qu’ils soient formés et protégés, autant que possible. En général, les équipages ont à peine 5 ou 6 minutes après la détection d’une attaque pour activer les dispositifs anti-boarding et, éventuellement, se réfugier dans le « safe-haven » du navire.
PartnerSHIP : Le Nigeria est considéré comme l’épicentre de la piraterie maritime, mais des attaques se développent de plus en plus au large d’autres pays du Golfe de Guinée. Va-t-il devenir impossible de naviguer dans la zone ?
W.B. : Plutôt qu’impossible, je proposerais le terme « difficile ». Depuis deux ans, la menace est quasi permanente, les surfaces couvertes s’étendent régulièrement. La pression des organisations et structures maritimes internationales se fait de plus en plus forte vis-à-vis des états riverains et organisations régionales, quelques pays menaçant d’interdire à leurs ressortissants d’opérer dans ces eaux. Si des attaques sont régulièrement rapportées tout au long de la côte Ouest Africaine, elles sont presque toujours orchestrées à partir des mangroves du Delta (Nigeria). La coopération régionale, naissante au travers des accords de Yaoundé, demande à être renforcée et accélérée. La plupart des pays touchés n’ont pas de lois contre la piraterie. Cependant, une nouvelle législation adaptée est récemment entrée en vigueur au Nigeria.
L’éventualité d’une opération multinationale régionale anti-piraterie sous l’égide de l’ONU, à l’instar de l’opération Atalante au large de la Corne d’Afrique, est illusoire compte tenu du cadre légal international, des coûts et de la situation maritime mondiale. Cependant, des échanges entre pays occidentaux sont en cours pour tenter d’assurer une couverture maritime coordonnée en « soutien » des marines locales. Cette présence, pour le moment symbolique, peut produire cependant des effets ponctuels comme lors du cas récent du Torm Alexandra3.
Malgré les efforts déployés à tous niveaux, le niveau de risque demeure très élevé. Il devient donc urgent de multiplier les initiatives et actions pratiques, aussi bien à terre qu’en mer, afin d’inverser cette tendance criminelle et de ne pas basculer vers une situation hors de contrôle.
1 Les initiales de notre interlocuteur ont été modifiées pour des raisons de sûreté.
2 Le « Safe-haven » est un endroit ultra protégé dans le navire, une sorte de bunker équipé de moyens de communication et de premiers secours, où l’équipage peut se réfugier pendant au moins 24 heures en attendant l’intervention des secours.
3 Le 7 novembre dernier, le pétrolier Torm Alexandra, attaqué par des pirates, a été secouru par une frégate de la Marine italienne.