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Bourbon Argos : opérations de sauvetage en Méditerranée

Le 9 mai dernier, le Bourbon Argos quittait le port d’Augusta, en Sicile, pour une mission de recherche et sauvetage de 4 mois au large de la Méditerranée. A bord, des bénévoles de l’association humanitaire Médecins Sans Frontière, l’affréteur, et un équipage de 15 marins. A la passerelle du navire, le commandant Ruslan Voznuk. Rencontre.

OFFshore : La mission à laquelle vous participez en ce moment n’est pas tout à fait classique. Pouvez-vous nous dire ce qui change par rapport à vos opérations habituelles ?

Ruslan Voznuk : Le premier et le plus important des devoirs en tant que marin est d’assurer la sécurité de la navigation, de l'environnement et des personnes. Mais pour des missions de recherche et sauvetage, il faut faire encore plus ! En effet, le MRCC de Rome (Maritime Rescue Coordination Center), qui est l’autorité compétente pour ordonner les opérations de secours, ne nous donne pas toujours des positions précises : le commandant se doit donc aussi de connaître les zones et les lignes côtières afin de se diriger dans la bonne direction et d’arriver à temps. Une fois le sauvetage effectué, nous sommes face à des personnes extrêmement vulnérables, paniquées… L’équipage et les équipes de MSF doivent alors trouver les mots justes pour leur expliquer que tout va bien, qu’elles sont saines et sauves, sous protection. Nous les apaisons, leur fournissons de l’eau, de la nourriture, des vêtements, et leur prodiguons les premiers soins en cas de besoin.

OFFshore : Le Bourbon Argos est-il configuré pour des opérations de sauvetage ?

R.V. : Notre navire répond parfaitement aux besoins de ce type de mission, il est bas de pont et très manœuvrant pour permettre des sauvetages rapides. Il a fallu, bien sûr, l’adapter à la spécificité de telles opérations en l’équipant d'un module hopital, de combinaisons de protection (comme celles qui sont utilisées contre Ebola etc.), de gilets de sauvetage en nombre, de torches mains libres, de stations VHF mains libres, etc…

OFFshore : Sur le terrain, racontez-nous comment se passent les opérations…

R.V. : Nous faisons avec l’équipage des briefings constants et organisons les recherches selon un planning, c’est obligatoire. Nos plans de recherches et sauvetages sont préparés en amont par MSF. Nous effectuons des lignes de navigation dans les eaux internationales et lorsque nous recevons un message de détresse à bord, nous contactons le MRCC pour avoir l’autorisation d’intervenir.

OFFshore : Depuis le 9 mai, vous avez participé au sauvetage de plus de 8 000 personnes. Une opération vous a-t-elle particulièrement marqué ?

R.V. : Habituellement, les embarcations en danger sont en caoutchouc ou en bois… Mais le 14 mai dernier, nous avons eu affaire à un très ancien bateau de pêche, avec 487 personnes à son bord. Pour être honnête, il s’agissait de ma toute première expérience de sauvetage concernant un navire de ce type. Les recherches ont pris beaucoup de temps mais l'opération s'est finalement bien passée : une fois tous les passagers sauvés et pris en charge sur le Bourbon Argos, ils ont été transférés sur un navire de de la Marine nationale italienne. Autre fait marquant : le 2 septembre dernier, nous avons secouru 993 migrants, en 2 opérations. C’est la première fois que nous comptions autant de rescapés sur le pont du navire…

OFFshore : D'un point de vue psychologique, comment vous et votre équipage vivez cette mission ?

R.V. : Vous savez, travailler en mer, c’est être toujours prêt à aider son prochain. Psychologiquement, mon équipage est opérationnel pour vivre ce genre d’expérience. Bien sûr, nous ne pouvons rester indifférents face à de telles situations, devant toutes ces personnes qui attendent d’être sauvées, dans des embarcations de fortune et des conditions météo difficiles. Mais nous gardons la tête froide, toujours, mettant de côté nos émotions : ces opérations nécessitent une concentration optimale. Bien sûr qu’en mon for intérieur, je ressens des choses… Mais je ne peux en dire plus : je fais mon devoir. Nous sommes bien conscients de la situation de ces personnes que nous aidons, nous savons que tout ce qu’elles veulent, c’est échapper à une vie extrêmement difficile et nous sommes heureux de pouvoir les secourir en mer. L’équipage salue les actions de l'ONG1 MSF et l’implication de tous ses bénévoles du monde entier toujours prêts à aider les autres : c’est un grand honneur de travailler à leurs côtés !


1Organisation non gouvernementale

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